Généré par IA ou fait à la main? Je m'en fiche, et tu devrais t'en ficher aussi - 12e édition du commun des mortels
Pourquoi sommes-nous encore obsédés par cette distinction alors qu’elle a toujours été futile.
Avec l’arrivée de la nouvelle année j’ai vu nombre de micro-publications souhaitant, en 2025, moins de contenu généré par IA et plus de contenu fait par de “vrais humains”.
Le débat autour du contenu généré avec l’IA continue de faire rage sur les réseaux sociaux.
C’est un faux débat qui détourne l’attention de ce qui compte vraiment puisque de tous les temps les créateurs ont utilisés des outils et des humains pour arriver à leur fin.
Michel-Ange, a prétendu avoir peint l'ensemble du plafond de la chapelle Sixtine lui-même, alors que les traces historiques démontrent le contraire.
Ou encore, des solopreneurs à succès, comme Justin Welsh, utilisent une armée de sous-traitant pour créer et livrer du contenu à forte valeur ajoutée.
“Aucun homme n'est une île, un tout, complet en soi”, disait John Donne. Par cela il exprimait que nous ne sommes pas des entités isolées, mais plutôt des parties intégrantes d'un tout plus vaste.
Alors, dans ce monde où on remixe, on s’inspire, on délègue, et, où les pensées vraiment originales sont de plus en plus rare, pourquoi sommes-nous obsédés par cette distinction entre humain et machine?
Est-ce que ce débat ne révèle pas en fait quelque chose de plus profonds sur notre rapport aux récits et à la perception?
C’est ce que je te propose d’explorer dans cette 12e édition du Commun des mortels.
Pouvons-nous encore distinguer le contenu humain du contenu généré par IA?
En septembre 2024 j’ai fait une petite expérience sur LinkedIn pour voir à quel point les gens pouvaient distinguer les images générées en utilisant un outil d’IA.
La micro-publication présentait 6 paires d’images. Chaque paire était composée d’une image générée en utilisant l’IA et une image créée par un humain.
Personne n’a été en mesure d’identifier les 6 images générées par l’IA. Au mieux j’ai eu des gens qui ont identifiées 5 des 6 images générées. Si tu es curieux·se, la micro-publication est disponible ici, sur LinkedIn.
Je te propose aujourd’hui de refaire une expérience similaire en utilisant du texte.
Tu crois pouvoir faire la différence entre un texte humain et un texte généré avec l’IA? Tente l’expérience ici et viens me dire ton score! https://form.jotform.com/250053970750858
Comment est-ce que ces textes ont été générés?
L’expérience utilise un processus similaires à l’expérience avec les images. 3 paires de textes, et, pour chaque paire se trouve un texte écrit par une personne humaine et l’autre, une version écrite en utilisant l’IA.
J’ai passé les textes générés dans un outil de détection qui ont déterminé qu’aucun des textes (générés ou pas) n’avait été créés avec l’IA.
Ce que révèle cette expérience
L’idée ici n’est pas de se donner des trucs pour arriver à distinguer un texte généré d’un texte réel mais de démontrer à quel point il est difficile, dans les bonnes conditions, de faire cette distinction.
Et ce n’est pas une question de manque d’attention ou d’expertise. Si même des lecteurs avertis peinent à différencier les textes, c’est bien parce que notre manière de juger un contenu repose sur autre chose que de simples critères techniques.
Nous avons tendance à accorder de l’intention aux choses qui nous paraissent cohérentes ou qui provoquent une émotion en nous. C’est un biais bien connu : nous voyons des visages dans les nuages, nous attribuons une personnalité aux objets, et nous prêtons même des intentions stratégiques aux algorithmes alors qu’ils ne font que suivre des modèles statistiques.
Un texte qui nous touche, qui semble avoir "une âme", nous fait instinctivement croire qu’un humain l’a écrit. Mais cette impression vient-elle réellement de la plume d’un auteur… ou de notre propre manière de donner du sens à ce que nous lisons?
Un texte qui nous touche, qui semble avoir "une âme", nous fait automatiquement croire qu’un humain l’a écrit.
Si nous avons tant de mal à tracer la frontière entre texte humain et texte généré, alors pourquoi insistons-nous autant sur cette distinction?
D’où vient cette polarisation sur le texte "fait main"? Est-ce une véritable défense de l’authenticité, ou simplement une résistance à voir notre manière de créer évoluer avec de nouveaux outils?
Cette mécanisation qui polarise depuis toujours
La polarisation autour du “fait main” ne date pas d’hier puisqu’on peut retrouver des exemples jusqu’en Rome antique, sous le règne de l’empereur Vespasien (69-79 AD).
Au centre du drame, une machine permettant le transport de colonnes en pierre jusqu’au Capitol pour une fraction du coût, en utilisant moins “d’ouvrier”.
L’empereur Vespasien s’est opposé à l’utilisation de cette machine prétextant qu’il était essentiel de “permettre à ses pauvres transporteurs de gagner leur pain.” Il craignait de voir ces gens ne plus avoir d’emploi et qu’il faille les nourrir autrement.
“Il faut permettre à mes pauvres transporteurs de gagner leur pain.”
(l’empereur Vespasien, 70AD)
Outre cette raison économique et sociale, il y a d’autres raisons dans l’histoire qui viennent alimenter cette polarisation.
Entre autre:
la perte du savoir-faire et des compétences humaines
les préoccupations concernant la qualité
les pertes d’emplois, la concentration de la richesse
les valeurs culturelles et esthétiques associées à l’artisanat traditionnel
l’impact environnemental
le lien humain et l’individualité
Ce dernier, le lien humain et l’individualité semble être la corde sensible qu’on touche à travers la mécanisation du savoir et de la communication en utilisant l’IA générative.
Nous ne rejetons pas la machine. Nous l'accueillons. Mais nous voudrions la voir maîtrisée.
(C.R. Ashbee en 1888)
Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit. Les mots, la communication, sont les moyens développés par l’humain pour transmettre l’expérience et le savoir d’une personne à une autre.
À ma connaissance, aucune autre espèce animale n’a développé cette capacité.
Avec l’IA générative, nous touchons à cette chose qui nous distingue des animaux et des objets. Quelque chose d’aussi déstabilisant qu’à l’époque où il a été popularisé que l’humanité n’était pas le centre de l’univers.
Et pourtant, à mes yeux, ce qui nous distingue ce ne sont pas les mots, ni la communication.
L’oeuf et la poule de l’identité humaine
Le consensus général parmi les chercheurs qui s’intéressent à la question du langage est que le langage a évolué en réponse à un besoin des humains de partager des informations.
C’est ce besoin de transmettre des informations complexes sur des objets, des actions et des concepts abstraits qui a probablement conduit au développement de systèmes de communication plus sophistiqués.
Je crois que c’est ce même besoin qui est derrière la création des mathématiques et de l’art.
Le langage s'est développé comme un outil de coordination sociale et de survie.
Et l’IA générative là dedans?
Il faut se rappeler que la technologie derrière l’IA générative permet de comprendre les règles d’un système en l’observant de l’extérieur.
Prenons un exemple simpliste. Quelle est la règle que régit l’ensemble des données suivantes expriment?
Si tu as dit: X = Y / 2
ou Y = X * 2
nous sommes arrivés à la même conclusion.
Si j’utilisais ces données pour entrainer un réseau neuronal (la technologie derrière des outils comme ChatGPT), il arriverait très probablement à la même conclusion.
C’est important parce que le langage humain réponds à des règles et des propriétés précises que les modèles de langue sont capables de “codifier” et de faire une approximation de notre language. C’est grâce à ces caractéristiques que les correcteurs d’orthographe et les outils de traduction peuvent exister.
Et ce que nous apprenons aujourd’hui c’est que ces mêmes caractéristiques permettent de codifier la connaissance et son expression.
Sauf que, ce n’est pas parce que tu peux lire une recette et cuisiner un plat que tu es en mesure de créer quelque chose de nouveau sans l’expérience, l’inspiration, un brin de folie et la volonté de partager ta création.
La différence entre Steve Jobs et de Milli Vanilli
On parle souvent de génie créatif, d’innovation, et de cette capacité unique à transformer une idée en quelque chose qui change le monde. Steve Jobs est l’incarnation de cette vision. Il n’était ni ingénieur ni designer, mais il avait une aptitude rare : celle de synthétiser les idées, de comprendre l’essence d’un produit et de le rendre irrésistible.
Il savait capturer un besoin latent et le matérialiser à travers une technologie parfaitement exécutée.
Steve Jobs ne construisait pas les ordinateurs, mais il savait ce qu’il voulait, il comprenait les technologies et savait les articuler pour en faire des objets révolutionnaires.
Milli Vanilli, en revanche, représente l’exact opposé. Ce duo des années 80 a connu un succès fulgurant… jusqu’à ce qu’on découvre qu’ils ne chantaient pas leurs propres chansons. Ils étaient la façade d’un produit conçu en arrière-plan par des producteurs qui, eux, maîtrisaient l’art de la musique.
Résultat? Leur carrière s’est effondrée dès que la supercherie a été révélée.
Milli Vanilli, n’avaient aucune maîtrise sur ce qu’ils produisaient. Ils n’étaient que les visages d’un projet qui ne leur appartenait pas.
La différence entre les deux ? L’authenticité et la maîtrise du processus.
Utiliser les outils d’IA pour soutenir ton processus créatif, c’est comme Steve Jobs s’entourant des meilleurs ingénieurs pour donner vie à ses idées. En entrevue, Steve Jobs a démontré mainte et mainte fois qu’il maîtrisait l’ensemble de ce que Apple a créé sous sa direction (comme le iPod ou le navigateur Safari).
De l’autre côté, si tu te contentes de prendre du contenu généré sans valeur ajoutée, sans relecture, sans intention… tu es plus proche de Milli Vanilli: une façade vide qui finira par être démasquée.
En commençant par la fin
Cette obsession de vouloir distinguer le contenu humain du contenu généré par IA n’en dit-elle pas plus sur nous que sur la technologie elle-même?
Peut-être que ce n’est pas tant la machine qui nous effraie, mais ce qu’elle reflète: notre propre malléabilité, notre dépendance aux récits, et la porosité de notre perception.
Nous avons toujours utilisé des outils pour créer. L’imprimerie a démocratisé la connaissance, la photographie a capturé l’instant mieux que nos pinceaux, le cinéma a donné vie aux histoires avec plus de réalisme que le théâtre. Pourtant, personne aujourd’hui ne remet en question la valeur artistique d’un film sous prétexte qu’il n’a pas été peint à la main, image par image.
Alors pourquoi cette résistance face à l’IA? Peut-être parce que cette fois-ci, l’outil semble toucher à l’essence même de ce qui nous définit: notre pensée, notre langage, notre créativité. Mais faut-il en avoir peur? Ou plutôt apprendre à la maîtriser pour mieux exprimer qui nous sommes?
L’authenticité ne réside pas dans l’origine d’un texte, mais dans l’intention qui le porte et l’impact qu’il génère. L’important n’est pas tant de savoir si un texte est "fait main", mais s’il réussit à nous toucher, à nous faire réfléchir, à nous apprendre quelque chose.
Et toi, après cette lecture, ton regard sur la distinction entre IA et humain a-t-il changé?
Comme toujours, je t’encourage a partager tes réflexions et te joindre à la discussion — ensemble, nous pourrons mieux décoder et utiliser ces outils fascinants.
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Jean-Marc Lagacé
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P.S. si tu remarques que cette édition du commun des mortels arrive avec beaucoup de retard, tu n’as pas la berlue. La création et le pré-lancement de mon dernier projet, Gertrude, a demandé beaucoup plus d’énergie et de focus qu’anticipé. Si tu veux découvrir Gertrude l’adjointe numérique qui s’occupe de ton CRM, je t’encourage à visiter le site web getgertrude.com.
P.P.S. Un dernière question avant de te quitter, si je te disais que cet infolettre a été écrite en par une IA, le lirais-tu différemment?